La tête au carré, dans un petit écran d’ordinateur. Voici comment j’ai vu (Otto) Karl pour la première fois. Mon ami L.W. me parlait de lui depuis longtemps. « Comme toi, il fait des duos de musique, comme toi, il fait de l’autofiction, comme toi, il travaille sur le thème de l’amour à réinventer (cf.mon livre Je t’aime [maintenant]). Je pense que vous devriez vous rencontrer pour 33 Tour ». Le message avait été passé de l’autre côté de l’écran aussi. Et c’est avec la petite appréhension du premier rendez-vous que Karl et moi nous sommes donnés rendez-vous sur Skype un lundi soir.
Il était en ligne à l’heure et s’est tout de suite mis à beaucoup parler (beaucoup pour moi = énormément pour une personne normalement loquace). Il sautait du coq à l’âme, d’une idée à l’autre avec frénésie. Ce qu’il évoque est brouillon mais passionnant. Karl, philosophe multimédias, est intelligent, même surdoué, dur à suivre. Il a cent concepts de vie et les partage en ponctuant ses phrases de « bref, passons », parce que tout prendrait trop de temps à expliquer. Or, si Karl s’est retiré dans les Cévennes c’est entre autres pour en avoir, du temps. Il le dilate, le dilue, tandis que je suis impatiente comme j’ai les yeux bruns. Au bout de deux heures d’écrans interposés, les fourmis me démangent les pieds. Envie de bouger ou de parler encore, mais de vive voix.
Le rendez-vous est donc pris. Dans trois semaines je pars retrouver Karl à Bessèges, dans les Cévennes, où il s’est retiré depuis cinq ans au motif que la rivière qui y coule s’appelle La Cèze. De fait, c’est bien une ascèse qu’il mène dans cet ancien village de mineurs.
Il me prévient : Je ne mets jamais de chauffage, l’appartement est humide et s’effondre par endroits. La nature est belle autour mais le village pas. Et puis, truc important, d’ordinaire l’hiver je ne reçois personne. Les villes sont infestées de microbes et je ne supporte pas d’être malade. Alors, fais-bien attention dans le métro avant de venir. Sur le coup j’ai crû qu’il plaisantait, mais quand, plus tard, il a refusé que j’achète des sandwichs à la boulangerie, parce que la boulangère rendait la monnaie avec la même main que celle qui servait le pain, j’ai compris que cette micro-phobie était très sérieuse.
En revanche, s’il n’a pas la phobie des micros (phones), Karl ne compose jamais de chanson. Des bribes, des bouts, des débuts, oui, mais comme ses phrases, ils restent en suspens. Ce qu’il aime c’est continuer. Pour 33’Tour je l’ai rassuré : je suis une femme qui termine (souvent même trop vite). Alors avec son inspiration, sa guitare boogaertsienne et mes règles du jeu, nous devrions pouvoir créer notre morceau.
Mais dès le lendemain, Karl m’a rappelée : il avait composé une chanson pour nous, à partir de la mélodie de Skype qui nous avait rapprochés. Il n’en revenait pas d’avoir écrit ce morceau. Son premier, donc.
La chanson s’appelle Cassandre, comme la contraction de Karl et Sandra, mais surtout comme la déesse mythologique qui avait le don de toujours dire la vérité et la malédiction de ne jamais être crue.
Karl se prend pour une Cassandre lorsqu’il parle d’intérêt pour dire l’amour. De post-sexualité pour dépasser le choix binaire « amour-amitié ». Pour lui tout est programmé par la nature, par l’instinct. Nous n’avons pas le choix.
J’ai la naïveté ou l’envie de ne pas y croire, parfois. Cette chanson me repose la question. Elle dit toujours vrai Cassandre?
Je n’aime pas beaucoup chanter les mots des autres. Mais cette fois, c’est différent. Ils ont été écrits sur mesure, pour nous, pour ce 33’Tour. Et puis ce sont ses premiers. Exception faite, donc. Et exception, c’est bien le mot qui convient pour décrire ces quatre jours à Bessèges. (Otto) Karl ne fait rien comme les autres. Tout est épars, ou lié, selon. Un déjeuner prend deux heures, parce que, comme un môme, il joue avec sa fourchette sans jamais la porter à sa bouche – trop occupé qu’il est à échanger.
J’ai envie d’aller jouer dehors, mais les heures filent dans le salon, lascives et nerveuses à la fois. Karl angoisse de cette histoire de temps im-parti. On s’irrite parfois. Avec bienveillance mais sans filtre, comme des frères à qui l’on ose tout dire.
Atta-chiant, voici comment j’ai défini Otto Karl. Et comme je dois être chiante tout court, nous sommes faits pour nous mésentendre avec délice.
Il y aurait beaucoup à dire de cette collaboration d’avril, mais « bref, passons », je compte sur les images pour raconter le reste.
Ou sur le site d’Otto Karl, que je vous conseille pour découvrir son travail foisonnant. Parce que, même avec toute la bonne volonté du monde, cet homme là ne se résume pas.